Mercury 13 : Des femmes astronautes clouées au sol par la NASA !

Mercury 13 : Des femmes astronautes clouées au sol par la NASA !

Peut-être avez-vous déjà entendu parlé de ce programme de la NASA des années 1960 nommé Mercury 13 qui comprenait 13 femmes destinées à être les premières personnes dans l’espace mais que le patriarcat a cloué au sol par pure misogynie. Netflix[1] en a fait un documentaire il y a quelques années, et c’est une histoire contée régulièrement un peu partout, des cercles féministes[2][3] aux milieux animés par l’amour de l’Histoire[4][5] en passant par la presse généraliste[6][7] ou même celle spécialisée dans l’espace[8][9][10].

Dans mon bouquin[11] et tout au long de mes vidéos, j’ai maintes fois répété que mon opposition radicale au féminisme n’impliquait pas que je niais l’oppression sexiste subie par les femmes. Le cas que nous abordons dans cet article est un parfait exemple de la pertinence de cette position a priori contradictoire.

Le mythe

Le programme Mercury-7 avait pour but d’envoyer des hommes dans l’espace dans la fin des années 1950. Deux hommes, Lovelace et Flickinger, se sont demandé si des femmes n’étaient pas de meilleures candidates. Elles sont plus petites, consomment moins d’oxygène ainsi que d’autres avantages physiologiques pour un voyage spatial. La NASA les a diligentés en secret pour réaliser les mêmes tests qu’aux hommes astronautes, et pour cause, Lovelace est celui qui s’était chargé de les développer et les réaliser. Cependant, en 1962, au moment de passer à l’entraînement suivant la phase préliminaire des tests médicaux, la NASA a posé son veto et a mis fin au programme. La raison ? La misogynie, purement et simplement. Les femmes avaient mieux réussi que les hommes et la NASA ne voulait pas qu’une femme aille dans l’espace ou marche sur la Lune en premier.

L’histoire

L’implication relative de la NASA et complotisme

Ce programme, de son vrai nom le Lovelace’s Woman in Space Program, était mené par le Dr Lovelace dans son cabinet médical. L’idée originait de l’observation tout à fait pertinente que les femmes sont plus légères (donc nécessitent moins d’énergie pour être soulevées) et ont besoin de moins d’oxygène que les hommes. Elles sont moins sujettes aux arrêts cardiaques ainsi que d’autres avantages biologiques divers. Les tests étaient financés par des dons privés, rien à voir avec la NASA. Ce programme s’est terminé lorsque le docteur a demandé permission d’utiliser du matériel militaire pour poursuivre ses recherches. Cette demande lui a été refusée, non pas en raison de son sujet d’étude, mais parce que toute demande concernant des recherches privées non financées ou commanditées par une agence gouvernementale étaient automatiquement refusées. Aucun complot, aucun sexisme. À noter d’ailleurs que Lovelace avait tout de même la possibilité de payer pour poursuivre son entreprise. Ce n’est pas la NASA qui a mis fin à ce projet[12]. Le complotisme provient de certaines participantes comme Jerri Sloan Truhill[13], mais surtout de Jerry Cobb (l’une des participantes et autoproclamée porte-parole du groupe), de journaleux et de producteurs de cinéma (James Cross, qui est celui ayant trouvé le terme Mercury 13 en référence au programme de la NASA Mercury 7[14]).

Il est d’autant plus difficile de croire que l’opposition de la NASA et de l’armée était purement d’origine misogyne sachant qu’il existait en parallèle du Mercury-7 des programmes officiels pour femme. La NASA a fait passer les tests à Betty Skelton et les a fait publier dans un magazine pour des raisons publicitaires. L’armée avait aussi commencé à faire passer les mêmes tests psychologiques à Ruth Nichols. Le projet WISE, mené par Flickinger durant la deuxième moitié de l’année 1959 (soit peu de temps après que les astronautes du Mercury-7 ont été choisi) a vu ses financements par l’armée révoqués en Décembre pour des raisons de communication publique [15]. La vérité c’est que ni la NASA ni l’armée n’y étaient opposées, sans pour autant y être favorables. C’est juste une question qui ne s’était pas posé puisque les critères d’admission excluaient indirectement les femmes. Selon l’historienne Margaret Weitekamp[16], les politiciens de l’époque étaient inquiets à l’idée qu’il arrive quoique ce soit à une femme lors d’un vol. Une telle chose aurait pu opposer l’opinion publique à la conquête spatiale. En reprenant le type de réflexion chère au féminisme, on pourrait arguer que ce n’est qu’un retour de bâton des privilèges des femmes (contrairement aux hommes, elles ne sont pas jetables).

Jackie, la Reine Abeille ?

À la suite de refus, une demande de financement a été communiquée, aboutissant à des auditions infructueuses en 1962. Là encore, aucun sexisme responsable de tout cela, mais tout simplement les propos de Jackie Cochran qui a exprimé sa désapprobation[17]. « Qui était Jackie Cochran ? » me demanderez-vous. Rien de moins que l’une des aviatrices les plus expérimentées et émérites de l’époque (records de vitesse, d’altitude, de distance, première personne a franchir le mur du son, etc.). Plus encore que cela, c’est nuls autres qu’elle et son mari qui ont financé le programme de Lovelace. M. Cochran était même président de la fondation Lovelace. Il s’agissait de proches de Lovelace et de ce programme. Lovelace a nommé une de ses filles en hommage à Jackie, sa marraine. Les raisons de ce refus ne sont pas clairement identifiées, la NASA suppose qu’il s’agisse du syndrome de la reine abeille[18]. Surprenant de la part de la femme ayant fondé et dirigé le WASP (Women Airforce Service Pilot) permettant aux femme d’être pilotes pendant la guerre… La biographe Amy Shira Teitel voit les choses avec plus de nuances et réhabilite Cochran et fait descendre Cobb de son piédestal. Pour en savoir plus, je vous invite à consulter son ouvrage « Fighting for Space: Two Pilots and Their Historic Battle for Female Spaceflight », ses articles [19][20][21][22][23] ou ses vidéos sur le sujet [24][25][26][27][28][29][30][31][32].

Les 13 femmes

Ces 13 femmes ne se sont jamais rencontrées toutes ensembles. En fait, la première fois qu’elles ont décidé de se réunir, c’était dans les années 1990, soit 30 ans après les tests. À ce moment là, deux d’entre elles étaient déjà décédées. Aucun test de groupe n’a été effectué, au maximum elles les faisaient en binôme.

James Oberg[33] (journaliste et historien de l’espace spécialisé dans le débunk de théorie du complot sur l’espace, ancien ingénieur spatial de la NASA et actuellement consultant en vols spatiaux et de sécurité) déclare[34] par ailleurs à ce sujet que toutes les heures de vol ne sont pas équivalentes. Il va même plus loin en déclarant qu’aucun homme ayant les mêmes heures de vol que ces femmes n’auraient été accepté. En somme, avoir conduit 10 000 heures au volant de sa citadine ne fait pas tout vous un pilote de voiture F1.

Les tests

Les femmes testées avaient en effet des résultats moyens supérieurs aux hommes (tests cardiaques notamment). Weitekamp estime même qu’avoir relevé ces tests seules ou en binôme plutôt que dans le contexte d’un groupe complet révèle un talent supérieur de ces femmes sur leurs homologues masculins. Certains des tests (l’isolation sensorielle) étaient même plus sévères que ceux auxquels les hommes étaient soumis. Cobb, la meilleure parmi les femmes, était dans le top 2% des personnes (hommes comme femmes) testées. On ne sait malheureusement pas quel est son classement absolu de l’époque puisque le nombre de testés au moment où Lovelace présente cette statistique à Cobb dans une lettre n’est pas connu. Les résultats obtenus par Lovelace n’ayant pas été publiés, impossible de vérifier cette information. Sur un total de 1 000 personnes, elle aurait été 20ème par exemple (sur 7 places disponibles).

Seul bémol concernant les tests, on parle là uniquement des tests médicaux. Par ailleurs, la totalité des tests ne leur a pas été soumise. Pour citer l’un des astronautes du Mercury-7 et défavorable à la discrimination des femmes : « Ces tests ne sont que le minimum requis. Ils montrent tout au plus que vous êtes en bonne santé. En guise d’analogie, ma mère pourrait passer les tests physiques soumis au Redskins [NDLR : club de football américain], mais je ne pense pas qu’elle pourrait jouer beaucoup de match. » [35]. Il est pertinent de rajouter que ces femmes n’ont passé aucun entraînement non plus. Ce n’était que des tests médicaux préliminaires.

La sélection de la NASA se faisait différemment. Il ne s’agissait pas d’auditionner des pilotes et de leur faire passer des tests d’aptitudes et médicaux. On prenait des pilotes qui avaient déjà vécu des expériences de vol particulières et desquelles ils s’en étaient sortis. Un pilote n’ayant que 1 500 heures de vol tortueux et délicats étaient préférés à des pilotes de simples vols commerciaux, quand bien même eut-ils effectué 10 000 heures de vol. On parle de pilote de l’aéronautique naval (métier ayant un taux de mortalité de 25%) et de pilote de tests (mortalité encore supérieure), métiers alors interdits aux femmes. Ce point est important parce qu’il explique aussi comment l’URSS a permis plus tôt à une femme d’accéder au même poste que les hommes. Comme l’explique Oberg, les engins américains étaient peu dépendants du pilote automatique relativement à ceux de l’URSS, ce qui leur a permis de résoudre bon nombre d’incidents en situation. En revanche, cet avantage avait pour prix qu’il fallait nécessairement un pilote aguerri, alors que l’URSS a pu se permettre de chercher un passager plutôt que spécifiquement un pilote aguerri.

Conclusion

Les femmes n’étaient pas admissibles en raison de leur sexe à certains des postes (de l’aviation notamment) permettant d’être éligible pour les programmes spatiaux. C’est en effet une forme de sexisme systémique et celui-ci a probablement réduit le nombre de femmes postulant pour ces programmes… ainsi que le nombre de femmes décédées en vol (Lovelace est d’ailleurs décédé en vol en 1965). Là encore, nous pouvons voir que l’oppression est bidirectionnelle. L’aspect « jetable » des hommes est d’ailleurs souligné par Weitekamp. La vie d’une femme est sacrée mais celle d’un homme est jetable. La misogynie s’accompagne encore et toujours de misandrie.

Néanmoins, cette réelle misogynie historique est grandement exagérée et romancée par la ré-interprétation des faits par le féminisme, et la misandrie homologue n’est même pas conscientisée. Ce sont deux hommes qui ont été à l’origine de ce programme, Lovelace et Flickinger, ainsi qu’un autre homme qui l’a financé, Cochran, et c’est a priori une femme qui l’aurait tué dans l’œuf.

Sources

[1] Mercury 13 | Official Trailer [HD] | Netflix
[2] “No Official Requirement”: Women, History, Time, and the U.S. Space Program – JSTOR
[3] The Women’s Space Program That Wasn’t: The Story Of The Mercury 13 – Women You Should Know
[4] The Mercury 13: Meet the Woman Astronauts Grounded by NASA – These aspiring astronauts were part of the little-known ‘Mercury 13’ program. – History
[5] Episode 7: The glass stratosphere – National Géographic
[6] Mercury 13: the untold story of women testing for spaceflight in the 1960s – The Guardian
[7] Right Stuff, Wrong Sex: NASA’s Lost Female Astronauts – Wired
[8] The Mercury 13: The women who could have been NASA’s first female astronauts – Space
[9] A Woman in Space: Two men of the 1950s showed that women have ‘The Right Stuff’ to be astronauts – SpaceRef
[10] Mercury 13 – ESA
[11] Mon Antiféminisme – Éditions Carmin
[12] Lovelace’s Woman in Space Program – NASA
[13] Losing Their Place in Space and in History – LA Times
[14] [site actuellement indisponible] – Orlando Sentinel
[15] A forgotten moment in physiology: the Lovelace Woman in Space Program(1960 – 1962) – Advanced Physoligical Education
[16] We fact-checked Mercury 13, Netflix’s doc about NASA’s first women astronaut trainees – The Verge
[17] The Class of 1978 and the FLATs – NASA
[18] Netflix Documentary Profiles the Women Who Could Have Been Mercury Astronauts – Smithsonian Magazine
Fighting for Space – Amy Shira Teitel
[19] Debunking the Myth of the “Mercury 13” – Medium
[20] Fabricating Amelia: How the Aviatrix Became Legend – Medium
[21] Was Jerrie Cobb’s “First Female Astronaut” Good Girl Image an Act? – Medium
[22] How Bessie Pittman Became Famed Aviatrix Jackie Cochran – Medium
[23] Wings to Beauty: Jackie Cochran’s Marriage of Aviation and Cosmetics – Medium
[24] Virtual Book Tour: The Myth of the Mercury 13 – The Vintage Space
[25] Fabricating a Legend: Amelia Earhart – The Vintage Space
[26] Q and A from Jerrie and Jack and Mary Stream – The Vintage Space
[27] How Bessie Pittman Became Jackie Cochran – The Vintage Space
[28] Beauty and Aviation According to Jackie Cochran – The Vintage Space
[29] Let’s Talk Vintage Astronaut Qualifications! – The Vintage Space
[30] Virtual Book Tour: The Stories that Didn’t Make It – The Vintage Space
[31] What Men Thought about Women in Space – The Vintage Space
[32] I Was Wrong in my TEDx Talk: a Self-Rebuttal – The Vintage Space
[33] James Oberg – Wikipédia
[34] The Mercury 13: setting the story straight – The Space Review
[35] Glenn : If a Gal Shaped Up, I’d Take Her Along – Daily News
Autres sources :
The Myth of the Mercury 13 – Space KSC
How the Mercury 13 Fought to Get Women in Space – JSTOR Daily
Retrouver vidéo de Colttaine sur le sujet… https://odysee.com/@colttaine:d/As-Alexandria-Burns:e


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